Témoignage de Doreen

Doreen
Doreen

« Quitte ton pays pour celui que je te montrerai »

Je suis née à Dublin. Dans ma vie, je peux distinguer une première étape constituée par mon enfance, ma jeunesse et mon entrée dans la Société du Sacré-Cœur jusqu’à ma profession en 1960. Une seconde étape a commencé en 1963, l’année de ma vocation missionnaire, quand j’ai entendu le Seigneur me dire : « Quitte ton pays. » Et je suis partie pour l’Ouganda. Une autre étape est constituée par les années 1968-1976 que j’ai passées à Rome. J’ai eu alors le grand privilège de connaître le visage de la Société internationale, ou plutôt son cœur, à travers nos sœurs vivant dans le monde entier. J’ai eu aussi entre 1970 et 1976 un autre grand privilège, celui de travailler en équipe avec Concha Camacho, Maria Luisa Saade, Mickey McKay, Françoise Cassiers et Mary Braganza comme conseillère générale. De 1977 à 2004, j’ai vécu à nouveau en Afrique. Puis, vers la fin de cette dernière période, j’ai entendu le Seigneur me dire encore : « Quitte ton pays pour le pays que je te montrerai. »

Ce pays, qui était alors le mien et que j’avais désormais à quitter, c’était l’Afrique. Et le nouveau « pays » que j’avais à rejoindre, Joigny ?

Puisque je suis arrivée en Ouganda un an après la fondation qui a eu lieu en 1962, j’ai le sentiment d’avoir pris part à l’engendrement d’une nouvelle famille de Religieuses du Sacré-Cœur en Ouganda et au Kenya. Maintenant la province est prise en charge par des religieuses autochtones. J’ai eu le privilège de vivre dans une province très internationale de la Société, ce qui en soit est signe de l’amour universel du cœur de Jésus, et de réaliser ainsi ma devise de probation qui était : « Charité universelle du Cœur de Jésus. » C’était important d’être signe de vie fraternelle dans des pays où règne le tribalisme. Pendant les vingt dernières années que j’y ai passées, j’ai eu un autre privilège, celui d’aider à la croissance de la vie religieuse dans des congrégations autochtones, en dirigeant des retraites, en étant « facilitatrice » d’assemblées et de chapitres. J’ai pu participer ainsi à la croissance d’une jeune Église africaine.

À part les responsabilités qui m’ont été confiées en Afrique par la Société du Sacré-Cœur – j’ai été provinciale et, pendant quelques années, maîtresse des novices -, j’ai été très heureuse de faire partie d’une équipe pastorale, en pleine ville, avec des Pères Blancs qui m’ont appris ce que c’est que d’être vraiment missionnaire. Dans cette paroisse, dans les bidonvilles de Kampala, j’ai vécu parmi les pauvres, les malades, les réfugiés, les jeunes… Si j’avais à résumer tout cela, je reprendrais les mots de Saint Paul : « Être en Christ la bonté de Dieu pour les autres. » Pour moi cela traduit la double dimension de notre vie de religieuses du Sacré-Cœur. « En Christ », c’est-à-dire, enracinées en Lui par la contemplation, « être la bonté de Dieu » par l’action : nous voulons être des femmes de communion.

Pour moi, cela a consisté à souligner l’amour du Christ pour chacun. Il fallait le faire en priorité auprès des chrétiens, et surtout des moins jeunes, car l’éducation chrétienne qu’ils avaient reçue – et que des missionnaires occidentaux leur avaient donnée – n’allait pas forcément dans ce sens. Lorsque la guerre a éclaté en Ouganda, beaucoup de gens, là-bas, disaient que « l’Ouganda est le pays que Dieu a oublié ». Quand l’épidémie de sida a commencé, beaucoup d’Ougandais ont vu cette maladie comme une punition.

Maintenant, c’est en conséquence d’un « appel » que je me trouve à Joigny. Il y a quelques années, en Afrique, j’ai ressenti un appel à vivre plus directement l’aspect contemplatif de notre vie religieuse et je l’ai compris comme la continuation de ma vocation missionnaire. Il s’agissait pour moi d’être maintenant, en vieillissant, plus féconde pour la mission, surtout pour les jeunes Églises d’Afrique et pour nos jeunes sœurs. En 2000, j’ai touché de près combien la maison natale de Madeleine-Sophie Barat appartient à la Société internationale. J’ai vu alors que je pourrai vivre, au « berceau » de la Société, cet appel que je découvrais et en même temps que je pouvais offrir mon service comme membre de la communauté de Joigny, par l’accompagnement spirituel et en prenant part aux autres tâches de cette maison.

C’est ce que je vis actuellement. Je constate qu’à Joigny je peux vivre les deux aspects de ma vocation. Je suis heureuse de pouvoir apporter ma part, ma miette, à la belle mission de la Société internationale qui s’y vit, à travers des contacts multiples et variés, avec des gens qui viennent, de tous les continents, puiser « à la source ».

Personnellement je suis très enrichie et même « défiée » quand j’accompagne des personnes. Je suis pleine de respect et dans l’émerveillement devant l’action de l’Esprit Saint pendant une retraite. Je pense alors souvent qu’Elisabeth a été l’accompagnatrice de Marie : Marie avait besoin de partager son expérience spirituelle après l’Annonciation et Elisabeth l’a confirmée dans cette expérience de Dieu dont elle était pleine.

ÀJoigny viennent beaucoup de groupes du monde entier : des enseignants irlandais, un groupe, d’un de nos collèges de Corée qui est venu aussi passer une journée « avec Sophie », une douzaine d’enseignants et d’enseignantes américains membres du « réseau » des établissements du Sacré-Cœur aux États-Unis, venus pour « toucher de près » notre manière d’être, afin de pouvoir la partager avec leurs collègues et leurs élèves. Je trouve ceci très émouvant. Le charisme du Sacré-Cœur a d’abord été transmis par les filles de sainte Madeleine-Sophie. Maintenant ce sont les anciennes élèves du Sacré-Cœur et des laïques du monde entier qui le répandent et qui nous envoient des jeunes, comme ces quarante-cinq Australiens qui se sont arrêtés à Joigny pour quelques heures alors qu’ils se rendaient aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Cologne. Oui, à Joigny, comme en Afrique, il s’agit toujours de découvrir et de manifester l’amour du Cœur du Christ.


Doreen Boland, rscj
Province d’Irlande – Écosse