Sainte Rose-Philippine Duchesne : Appelées à atteindre de nouvelles frontières
Un peu d’histoire…
La Révolution française
Sainte Rose-Philippine Duchesne est née le 29 août 1769 à Grenoble, au sein d’une bourgeoisie marchande et parlementaire. Elle hérite du caractère bien trempé de la famille Duchesne-Perier, dont l’esprit d’entreprise lui permet de traverser de multiples obstacles jusqu »à son arrivée en Louisiane en 1818.
Lorsqu’éclate la Révolution française, elle est âgée de 20 ans. Son projet personnel est contrecarré : elle ne peut s’engager dans l’Ordre de la Visitation. Après la fermeture des couvents et des églises, les dénonciations mensongères et la haine de la religion conduisent dans toute la France à l’incarcération de dizaines de milliers d’hommes et de femmes dont certains sont condamnés à la guillotine ou à être déportés en Guyane.
Le monastère de Sainte Marie d’En-Haut à Grenoble est transformé en prison. Philippine et Joséphine Savoye de Rollin, sa cousine et amie d’enfance, s’engagent dans la Confrérie de la Miséricorde pour visiter les détenus. Confrontées aux frontières de l’humain en ce temps de barbarie, elles leurs rendent de nombreux services avec une réelle compassion.
La rencontre avec Madeleine-Sophie
Après la chute du gouvernement de la Terreur, Philippine choisit d’instruire quelques enfants des rues et entreprend la réouverture de Sainte-Marie d’En-Haut. Celle-ci se réalise en 1801 grâce à l’aide de sa famille. Par l’intermédiaire des pères Roger et Varin, jésuites, Madeleine-Sophie Barat vient y fonder, en décembre 1804, la deuxième maison du Sacré-Cœur de Jésus. Le père Varin l’encourage en lui parlant ainsi de Philippine Duchesne : « Vous trouverez là des compagnes qui vous seconderont; une surtout, n’y eût-il que celle-là, il faudrait aller la chercher au bout du monde. »
Un appel à la mission
Âgée de 35 ans, Philippine commence alors un noviciat sous la houlette de Madeleine-Sophie, et s’engage dans la Société du Sacré-Cœur le 21 novembre 1805. Quelques mois après, elle reçoit dans la prière un appel pour aller en mission chez les Indiens d’Amérique. Succède une longue attente jusqu‘en février 1818, où elle est envoyée en Louisiane avec quatre autres religieuses, au départ de Paris.
L’embarquement pour le Nouveau Monde a lieu le mois suivant, à Bordeaux. La traversée de l’Atlantique sur La Rebecca est pénible et périlleuse; premiers présages d’un dépouillement intérieur qui sera accompagné d’un enfouissement en terre étrangère, parfois hostile à ses désirs ou rêves missionnaires.
Les débuts à la Nouvelle Orléans
La communauté arrive chez les Ursulines à La Nouvelle Orléans pour la fête du Sacré-Cœur, le 29 mai 1818. Les déconvenues ne tardent pas. Philippine découvre l’esclavage, l’exploitations des Noirs et sa banalisation. Elle se rebelle, réaffirme la raison de leur venue en Amérique : l’éducation des filles noires, indiennes ou métisses. Les lettres envoyées à ses anciennes élèves de Paris et de Grenoble le mentionnent, mais décrivent aussi les belles découvertes faites sur La Rebecca en longeant les Bahamas et la Havane à l’entrée du Golfe du Mexique.
Philippine se heurte aussi au silence de Mgr Dubourg qui les a invitées en Louisiane. Elle ne reçoit aucune lettre de mission pour se rendre à Saint-Louis, comme il était cependant convenu entre l’évêque et la mère Barat à Paris. Le 12 juillet, elle décide d’embarquer sur le bateau à vapeur Franklin pour remonter le Mississipi. La navigation dure 40 jours.
Départ pour Saint Louis et la maison de Florissant
A Saint-Louis, l’accueil de l’évêque est des plus déconcertants : leur mission ne concernera pas l’éducation des Amérindiennes et des Noires, mais celles des Américaines en raison des préjugés sociaux. De plus, aucune maison n’est prête à les recevoir ; elles logent quelques semaines chez la famille Pratte, avant d’être envoyées à Saint-Charles, « le village le plus reculé des Etats-Unis, sur le Missouri qui n’est fréquenté que par ceux qui trafiquent avec les Indiens ». La communication avec l’Europe s’en trouvera ralentie, le courrier de Paris ne parvenant à Saint-Charles qu’au bout de 12 à 18 mois.
Le 14 septembre 1818 a lieu l’ouverture de la première école des filles aux confins du Congrès américains et des tribus amérindiennes. Y arrivent une douzaine d’élèves externes, et le mois suivant, trois pensionnaires. La maison en bois louée à Mme Duquette est en mauvais état et trop petite pour accueillir d’autres pensionnaires. Contre l’avis du curé qui prévoit l’acquisition d’un terrain à bâtir et la souscription de parents d’élèves, Mgr Dubourg décide en mars 1819 de faire construire une maison à Florissant, de l’autre côté du Missouri. Sans l’accord de Philippine, il utilise l’argent reçu à la Maison Mère, ce qui induira par la suite bien des tracas financiers.
En septembre 1819, la construction de la maison de Florissant n’étant pas terminée, le déménagement doit se faire provisoirement dans la ferme du curé. Il est suivi, fin décembre, dans la neige et le froid, de l’installation à Florissant où religieuses et élèves se trouvent réunies pour fêter Noël.
Après le court séjour à Saint-Charles, 6 établissements sont ouverts de 1819 à 1828 :
1819 : Florissant
1821 : Saint Coteau
1825 : Saint-Michel
1827 : Saint-Louis
1828 : Bayou-La Fourche et Saint-Charles
Dix ans après l’arrivée des premières religieuses aux Etats-Unis, la Société du Sacré-Cœur compte 6 maisons – trois au nord et trois au Sud, 27 religieuses dont 11 européennes et 16 américaines et 25 novices américaines.
Mission auprès des Potawatomi
En 1840, Philippine Duchesne est déchargée de sa mission de supérieure des maisons du Sacré-Cœur en Amérique. Un an après, avec l’appui des jésuites du Missouri, elle réalise enfin son « rêve » : participer à la mission féminine, au village potawatomi de Sugar Creek, le Congrès américain ayant repoussé les autochtones du Michigan jusqu’au Kansas.
Elle n’y reste qu’un an. Elle est dans l’incapacité de communiquer avec les élèves, ne réussissant pas à apprendre leur langue. Sa santé ne lui permettant plus d’avoir d’activités domestiques ou de jardinage, elle passe alors de longues heures à la chapelle, c’est pourquoi les Potawatomi la surnomment : « La femme qui prie toujours ».
Accompagnée du père Verhaegen, jésuite, elle revient à Saint-Charles en 1842. Toutefois, son intérêt missionnaire ne cesse pas ; en mai 1852, elle exprime encore à Sophie Barat son souhait de voir s’ouvrir à Sainte-Marie au Kansas une école normale pour les amérindiennes.
Une ultime rencontre a lieu, la veille de sa mort, avec la mère Anna du Rousier qui part au Chili. Le 18 novembre 1852, la vie de Philippine s’éteint.
En 1918, cent ans après la fondation du premier établissement du Sacré-Cœur aux Etats-Unis, le gouvernement de Jefferson City la déclare « Première femme pionnière du Missouri ». Elle est canonisée par Jean-Paul II le 3 juillet 1988.
source : Marie-France Carreel, rscj