« Ça fait un trou dans mon cœur ! » m’a dit un jour un garçon de 15 ans, que j’accompagne dans mon métier d’orthophoniste. Evidemment, il ne parlait pas d’une blessure physique. Par ces quelques mots, jetés après un long silence, il témoignait de l’immense douleur de ne pas réussir à trouver sa place au collège. C’était son identité d’adolescent issu de la communauté des gens du voyage et touché par le handicap ainsi que ses difficultés à tisser des relations amicales avec les autres élèves qui étaient en cause.
Au début de l’encyclique Dilexit Nos, le Pape François nous rappelle dès l’Antiquité et dans les textes bibliques, le cœur ne désigne pas seulement le centre corporel, mais aussi le centre émotionnel et spirituel de l’homme. (3) Selon François, la partie la plus intime de l’homme réside dans son cœur (12) qui est le lieu de la sincérité où l’on ne peut ni tromper ni dissimuler. Il renvoie généralement aux véritables intentions d’une personne, ce qu’elle pense, croit et veut vraiment, les « secrets » qu’elle ne dit à personne et, en fin de compte sa vérité nue. (5) N’était-ce pas ce qu’essayait de dire mon jeune patient, en évoquant son cœur « troué » ?
Ce cœur, centre qui unifie le corps et l’âme de la personne, et qui est à la fois le lieu des émotions, de souvenirs, du désir et des prises de décisions importantes (3, 16, 20) est aussi le lieu de la relation. Le Pape affirme que nous avons un cœur, que ce cœur coexiste avec les autres cœurs qui l’aident à être un « tu » (12). En effet, je ne deviens moi-même que lorsque j’acquiers la capacité de reconnaître l’autre, et que je rencontre l’autre qui peut reconnaître et accepter mon identité (18) car tout être humain a été créé avant tout pour l’amour, il est fait dans ses fibres les plus profondes pour aimer et être aimé. (21).
Mais le Pape observe les drames du monde actuel : les guerres, le consumérisme, le narcissisme (17,22,31) et déplore qu’à bien des égards, la société mondiale dominée par l’utilisation inhumaine de la technologie soit en train de perdre son cœur (22). Selon François, ces déséquilibres sont liés à un déséquilibre plus fondamental qui prend racine dans le cœur même de l’homme (29) et nous fait perdre notre capacité d’une rencontre authentique avec Dieu (17).
Le Pape nous invite alors à sonder notre propre cœur (23) car l’amitié avec Dieu, cette relation qui permet à chaque personne d’être le « tu » de Dieu et de se reconnaître réellement comme un « je » parce que Dieu est un « tu » pour lui, est bien une affaire de cœur ! (25) Ce cœur, qui lorsqu’il réfléchit sur lui-même et recherche Dieu (23) est capable de mettre les autres facultés et passions, et toute notre personne, dans une attitude de révérence et d’obéissance amoureuse au Seigneur. (27)
Le Pape nous encourage alors à aller vers le Cœur du Christ, le centre de son être qui est une fournaise ardente d’amour divin et humain qui est la plus grande plénitude que l’homme puisse atteindre. (30) car notre cœur est fragile et blessé. Pour apprendre à aimer, nous avons besoin de l’amour divin. En unissant notre cœur au sien, nous devenons capables de relations saines et heureuses les uns avec les autres et de construire le Royaume de l’amour et de la justice dans ce monde. (28) Devant le Cœur du Christ, François nous invite à demander la grâce de la compassion pour cette terre blessée qu’Il a voulu habiter comme l’un de nous.
C’est ce que nous essayons de vivre, comme religieuses du Sacré-Cœur de Jésus, habitées par la conviction que Le cœur transpercé du Christ nous ouvre la profondeur de Dieu et à la détresse de l’humanité (Constitutions 8). Ainsi, le cœur « troué » d’un adolescent rend présent dans mon quotidien le Cœur même du Christ, blessé par la souffrance des hommes et brûlant d’amour pour chacun.
Françoise Chevreuil, rscj